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Le “prendre soin” et les pensées évaluatives. Le cas de l’évaluation des poissons génétiquement modifiés

Léo COUTELLEC

"Le “prendre soin” et les pensées évaluatives. Le cas de l’évaluation des poissons génétiquement modifiés" / "“Taking care” and evaluative concepts. The example of assessing genetically modified fish"

Résumé

Les valeurs, postures, procédures et outils mobilisés pour évaluer un objet peuvent s’appréhender sous le nom de « pensées évaluatives ». Dans cet article, nous montrons que les pensées évaluatives liées au « problème des Poissons Génétiquement Modifiés » sont inadaptées à l’identité particulière de ces objets. L’appréhension et l’instruction d’un tel objet demande d’adopter un autre regard et une autre posture, en d’autres termes de repenser et de refonder les pensées évaluatives qui lui sont associées. L’orientation thématique du « prendre soin » peut nous permettre de tracer une voie nouvelle pour des évaluations nonstandards, en développant ce que l’on propose d’appeler des savoirs évaluatifs de la prise en soin. Nous formulons ainsi la nécessité d’élargir le spectre de la considération, à la fois scientifique et éthique. Des savoirs évaluatifs de la prise en soin impliquent une forme d’attention à l’objet et au jeu de relations engagé par celui-ci. Le « prendre soin » concerne ici aussi bien l’objet que son milieu associé et donc, a fortiori, l’homme et la nature. Il s’agit bien d’un nouvel horizon pour des pensées évaluatives qui ne se réduisent plus à un appel à la quantification et qui ne fassent plus de la centralité du concept de risque un principe organisateur. Afin d’illustrer notre propos, nous choisissons de revisiter le processus d’évaluation du premier animal génétiquement modifié destiné à être commercialisé à des fins d’alimentation humaine, un saumon Atlantique (Salmo salar). Cet exemple illustre parfaitement bien, à notre avis, cette rencontre problématique entre des pensées évaluatives inadaptées et l’identité impensée d’un objet.

Abstract

Is it possible to base an environmental ethic on an ethic of care ? Can care, or the absence of care, be an effective lever for social and political critique ? The object of this article is to assess the extent to which the ambition of the ethic of care – radically rethinking our relation putting our relations to the natural world – can be realized. The study of social relations based on care can be summed up by the question : “Who cares ?”. There is no obvious analogy between this question and those that are supposed to extend the ethics of care to environmental topics : “Who pollutes ?” or “Who destroys ?”. The criticisms addressed by Joan Tronto to Ulrich Beck, as well as the analysis of our relation to animals put forward by the theorists of care, show that extending care to the environment can imply two forms of engagement : 1. a socio-economic analysis which does not simply describe a system of domination based on genders and races ; 2. an attempt to found the principles of ethical action on an individual basis, as in the case of eco-citizenship, or on a gendered basis, as in the case of eco-feminism. Only the first of these alternatives realizes the ambition of radical social transformation to which the ethic of care aspires. This raises the question of whether it is coherent and realistic to reverse the social balance of power produced by capitalism thanks to a democratization of care, without a strong ethic of rights and laws.


► Publication dans le cadre de la revue Éthique, politique, religions. 2013, n°3.
Dates
Créé le 10 février 2014